- Tenirtamain
Mourir seul au temps du Covid sans revoir les siens
Dernière mise à jour : 6 juil. 2021
Le fils du chirurgien carpentrassien Dominique Frémont, décédé du Covid en novembre dernier, veut instituer un droit opposable aux visites des familles à l'hôpital

Dominique Frémont, 70 ans, chirurgien orthopédique en préretraite, est décédé sans pouvoir être entouré de ses proches. Son fils Laurent est inconsolable. Photo DR
Laurent Frémont est inconsolable. Inconsolable mais combatif. S'il lui a fallu plusieurs semaines pour "encaisser ça", ce doctorant en droit public entend aujourd'hui faire évoluer la loi pour que le drame qu'il vient de vivre, comme tant d'autres dans une société affolée par la pandémie, ne devienne pas une norme.
"Ça" s'est déroulé à la charnière des mois d'octobre et de novembre derniers. Dominique Frémont, 70 ans, chirurgien orthopédique qui a longtemps exercé à la polyclinique Synergia de Carpentras, contracte le Covid-19. "Mon père était en préretraite mais encore en activité et en pleine santé", rembobine son fils.
Au bout de dix jours à l'hôpital de la capitale du Comtat où, "pour l'anecdote sinistre, on lui a volé sa montre aux urgences", glisse Laurent Frémont, il est transféré dans une clinique à Aix-en-Provence, par manque de lits de réanimation plus près. Intubé, mis sous coma artificiel, il ne reverra plus ses proches. "Là-bas, on nous a tout de suite avertis que les visites étaient interdites", raconte Laurent Frémont.
Au bout d'une semaine, pourtant, le septuagénaire est réveillé. "Des tests ont montré qu'il n'était plus contagieux. Avec ma mère, nous avons donc demandé à pouvoir le voir, nous avions passé des tests qui se sont avérés négatifs. Mais cela nous a été refusé, même derrière une vitre", s'étrangle le jeune juriste. Qui se plonge dans les textes de l'ARS et y lit que si "le chef d'établissement détient le pouvoir de décider, les visites sont autorisées par principe". Pendant les deux semaines suivantes, la famille de Dominique Frémont est également privée de nouvelles. "On nous a dit qu'on nous appellerait si son état se dégradait". Ce sera chose faite pour annoncer... la mort du chirurgien.
Rétabli du Covid, le Pr Frémont est décédé d'une septicémie après avoir attrapé une infection nosocomiale. "Que mon père soit resté seul éveillé tout ce temps sans possibilité de voir personne, c'est un scandale", s'indigne Laurent Frémont. "D'autant qu'après ça, le médecin a déclaré la mise en bière immédiate. Après deux jours de négociation avec la direction de la clinique, il a fallu qu'on sollicite un soutien pour que ma mère, seule, puisse enfin entrevoir le visage de son époux durant quelques minutes dans la morgue..."
"Je n'en peux plus de voir cette situation perdurer", lance Laurent Frémont. "Pour moi, aujourd'hui, c'est un enjeu de civilisation, car c'est un recul total. Il faut que cela cesse parce que ce n'est pas justifié. Nous sommes dans une société de la peur et du règlement. On se cache derrière le protocole et on oublie que derrière les patients, il y a des êtres humains".
Une fois le chagrin estompé, le spécialiste en droit a imaginé un droit opposable aux visites des proches aux mourants. "Un texte qui permettrait aux familles qui se heurteraient à un refus, de saisir le juge des référés en urgence, qui rendrait sa décision en 48 heures, pour contraindre les établissements hospitaliers", précise Laurent Frémont. "Il faut se battre pour éviter des regrets à vie".
Dominique Frémont repose dans la Drôme provençale. Son fils, depuis Paris, veut accompagner un réveil des consciences. Il fait la promotion de la pétition lancée par la comédienne Stéphanie Bataille, dont le propre père, l'acteur Étienne Draber, est décédé dans les mêmes conditions. "Elle a reçu des milliers de témoignages similaires", note Laurent Frémont, qui s'associe à la démarche : "Je dois bien ça à mon père, lui qui était un soignant très proche de ses patients. Pour lui rendre hommage, à mon petit niveau, j'aimerais faire changer les choses dans un monde de la santé qui n'est gouverné que par la rentabilité et qui a oublié l'humain".
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