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Radio Notre-Dame: « On m’a volé la mort de mon père » : le témoignage poignant de Laurent Frémont
Dernière mise à jour : 25 juin 2021
Dans une tribune publiée hier dans l’hebdomadaire Marianne, Laurent Frémont raconte les dernières heures de son père, décédé seul, a priori du Covid-19. Après quelques recherches, il apprendra que son père a finalement succombé à une septicémie. Une interview exclusive signée Louis Daufresne.
Combien de familles ont été dans une situation similaire à celle de Laurent Frémont ? Ce jeune homme de 29 ans qui publie cette semaine une tribune dans l’hebdomadaire Marianne, raconte comment il est devenu « orphelin de père à cause du Covid-19« . Il dénonce l’irresponsabilité de l’administration et l’inhumanité des gestionnaires d’établissements de santé qui interdisent aux proches de visiter les patients, surtout dans les derniers jours de leur vie.
Comme de nombreux Français, le père de Laurent Frémont, âgé de 70 ans, a contracté le Covid-19 au mois de novembre dernier, en plein cœur de la deuxième vague. Hospitalisé à la clinique privée Axium, à Aix en Provence, « il s’est retrouvé triplement condamné : par une prise en charge tardive, faute de lit de réanimation disponible ; par une infection contractée dans le service de réanimation qui devait le soigner ; par un règlement arbitraire l’ayant privé de la présence de ses proches lors des derniers jours de son existence », peut-on lire dans Marianne. « Après son séjour en réanimation, il guérit au bout d’une semaine. Testé négatif au Covid-19, il finit par attraper une maladie nosocomiale dans ce même service. A ce moment là, il est conscient, mais on nous informe que les visites sont toujours interdites malgré les deux tests Covid négatifs« , explique Laurent Frémont. « On l’a laissé seul sans pouvoir voir ses proches, les embrasser ni même les joindre, alors qu’il était tout à fait conscient« . Seul quand il se réveille de réanimation, seul il le restera jusqu’à sa mort. Croyant leur père, leur mari, décédé du Covid-19, cette famille endeuillée finira par apprendre plusieurs semaines plus tard, en réclamant le dossier médical du patient, qu’il a en fait succombé à une septicémie. « Le médecin en charge de notre père nous a menti dès le début sur son état de santé. »
« On a à faire à des portes de prison qui ne font qu’appliquer des protocoles »
Laurent Frémont décrit aussi les longues journées d’attente, vissés près du téléphone, dans l’espoir d’obtenir un coup de fil qui n’arrive jamais : « La première semaine, on nous avertit que mon père est endormi, mais qu’on ne peut pas le voir. On remue ciel et terre mais ça n’y fait rien. On a à faire à des portes de prison qui ne font qu’appliquer des protocoles ». La famille respecte alors les consignes balancées brutalement par l’équipe médicale au sujet des échanges téléphoniques : « le médecin nous a dit de ne pas appeler pour ne pas les déranger« . Ce dernier a finalement rompu le silence quand il était déjà trop tard : « mon père était mort« .
Pour voir le corps du défunt, même combat. « On est désemparé, on est face à l’arbitraire d’une administration médicale toute puissante », se désole-t-il. « La mise en bière est immédiate. On nous a fait savoir qu’on ne le reverrai plus jamais. Jusqu’au bout l’inhumanité est totale. » L’adieu d’une épouse à son mari se fera en quelques minutes dans le décor glacial d’une morgue en sous-sol de l’hôpital, entourée de deux cerbères. Viennent ensuite les funérailles, réduites au strict minimum à cause de ce protocole sanitaire destructeur. Pour ses obsèques, la famille Frémont choisit de renouer avec un peu d’humanité et de « désobéir aux consignes officielles ». « Nous avons organisé les obsèques de notre père dans le jardin puis, nous l’avons inhumé dans le cimetière avec une procession limitée à 30 personnes« , raconte-t-il.
« Si j’avais pu attraper le Covid pour approcher mon père une dernière fois, je l’aurais fait »
Si le deuil est encore clairement impossible, la colère est bien présente : « On vit dans une société qui a perdu le sens de la vie et le sens de la mort. Ce n’est pas simple grippe mais ça n’est pas non plus la peste. Si j’avais pu attraper le Covid pour approcher mon père une dernière fois, je l’aurais fait. Quelle indignité, dans quelle société vivons-nous ? Si nous n’arrivons plus à honorer nos morts, quel est le sens de la vie ? » Ce type de témoignage n’est aujourd’hui pas isolé. Pour preuve, la pétition de Stéphanie Bataille, qui a également perdu son père, mort seul dans une chambre d’hôpital, recueille à ce jour plus de 35 000 signatures.
« On prend en otage les patients et les familles »
Face à ce terrible constat, Laurent Frémont lance un appel national et propose que l’état et plus largement, les politiques, « prennent la mesure du drame vécu par les familles ». Il demande l’instauration d’un droit opposable aux visites des familles. « Si une direction d’établissement s’oppose aux visites, les familles pourront saisir un juge des référés dans l’urgence pour pouvoir mettre fin à cette situation ». « Il faut que le droit de visite soit reconnu à tous, quelques soit l’état de santé des malades« , clame-t-il. « Soigner des hommes, c’est pas seulement soigner des corps, c’est soigner des âmes. Derrière tous ces morts dans la solitude, ce ne sont pas que des drames personnels, mais c’est aussi une marque du recul de la civilisation. On prend en otage les patients et les familles« .