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Stéphanie Bataille : « Je pense que l’hygiénisme pousse au totalitarisme. »
Dernière mise à jour : 22 mars 2021
Le Grand Témoin – Stéphanie Bataille est comédienne et dirige le Théâtre Antoine. Elle s’est vu refuser le droit d’accompagner les derniers moments de son père, décédé du Covid, ne de le mettre dignement en bière. A l’origine d’une pétition adressée au chef de l’Etat, elle témoigne au micro de Louis Daufresne.

Le récit fait froid dans le dos, parce qu’il concerne d’autres familles endeuillées, mais surtout parce qu’il nous concerne tous.
Le père de Stéphanie Bataille, Étienne Draber, est entré à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière le 13 décembre 2020 pour une intervention cardiaque. « Il avait 81 ans, il marchait, il n’était dépendant de rien », raconte-t-elle. Le jour même, il est testé négatif au Covid. « Opéré le 14 décembre, les 15 et 16 décembre, il était heureux », dit-elle, « c’était doux et magnifique de le voir dans cet état-là ». Le lendemain, son père commence à montrer quelques signes du Coronavirus : bouche sèche et courbatures. Les jours suivants, les signes persistent. Il n’est retesté que le 24 décembre, déclaré positif le 26. « Nous ne pouvions alors entrer dans sa chambre en unité cardiaque intensive qu’entièrement équipés, avec la charlotte et les gants », explique Stéphanie Bataille. Ce jour-là, son père lui lance : « Steph, fais le maximum car sinon vous n’aurez que les restes ». Le 30 décembre, il part en unité Covid et traverse ce que l’on appelle un « orage cytokinique ».
« On nous alors dit cette phrase terrible : vous ne le reverrez qu’au dernier moment »
Pour Stéphanie Bataille, cette phrase est un cauchemar qui revient quotidiennement dans sa tête : « comment peut-on prévoir les derniers moments de quelqu’un ? On va à l’hôpital pour guérir, pas pour monter à l’échafaud ». Au bot de 48 heures, son père sort de son orage. Il va mieux. Stéphanie, son frère et sa mère peuvent alors le voir via une tablette. « Il pleurait et implorait », dit-elle, « sortez moi de là car je vais crever ! ». Le 8 janvier, Etienne Draber est renvoyé en cardiologie, car épuisé au niveau du cœur à cause du stress. « Il sentait venir la fin ».
« Le 10, j’ai eu le droit de le voir, il était tout nu dans son lit, les mains attachées car il ne supportait pas le masque à oxygène ». Pour seules explications, on dit à Stéphanie Bataille que son père est trop nerveux : « c’est normal, il était dans son urine. J’ai demandé à ce qu’on le change ». Etienne Draber est mort le 11 janvier à 10h45. « Mon frère a pu l’accompagner », raconte Stéphanie Bataille. Vient alors l’état de sidération. Une heure de recueillement à peine et après, plus jamais la possibilité de revoir son père. Pas le droit non plus de changer ses habits. « Non, on le met dans un bodybag », m’ont répondu les soignants.
« C’est un choc traumatique, nous n’avons pas pu revoir notre père »
Le jour de l’enterrement, c’est un cercueil fermé qui leur est présenté. « Nous avons le doute de savoir si c’est vraiment bien lui » que nous avons mis en terre. Et Stéphanie Bataille d’ajouter : « je crois que l’on est sur la pente de la fin de l’humanité. On est devenu humains au moment où on a su enterrer nos morts ». Elle dénonce également la « la normalité » dans laquelle tout cela a été fait, « une sorte de banalisation du mal ». « Mon père nous a transmis tous les jours le respect la justice… Je me suis dit, ce n’est pas possible, je ne peux pas laisser faire ça ! »